“Blitz”, sur Apple TV+ : une jolie fable initiatique au cœur de la guerre signée Steve McQueen (2025)

Par une mise en scène à la fois crue et poétique, le cinéaste britannique évoque l’épisode destructeur du Blitz, à travers le regard d’une mère et de son enfant. Le Syndicat Français de la Critique de Cinéma lui a remis, lundi 10février, le prix du meilleur film plateforme 2024.

• r
• Très Bien

Par Jacques Morice

Réservé aux abonnés

Publié le 11 février 2025 à 10h28

Mis à jour le 11 février 2025 à 10h50

• Partage
• LinkedIn
• Facebook
• X (ex Twitter)
• Envoyer par email
• Copier le lien

Voir sur Apple TV+

Linton Kwesi Johnson, grand poète du reggae-dub dont Steve McQueen a repris plusieurs titres dans sa série Small Axe, disait à Télérama en2023: «Le racisme est dans l’ADN du Royaume-Uni.» On serait prêt à parier que le cinéaste acquiescerait. De racisme et d’histoire occultée de la communauté noire en Angleterre, il est toujours question, mais cette fois de manière plus voilée, dans ce film de guerre sur le Blitz, période la plus terrible de la bataille d’Angleterre. Cette page d’histoire, objet de chagrin comme de fierté nationale, puisque le peuple britannique parvint à résister à la campagne de bombardements, actant ainsi le premier revers des Allemands, a déjà nourri des films, à l’instar de Hope and Glory (John Boorman). Mais c’est sans doute la première fois qu’un garçon métis se trouve au centre de l’action.

Il a 9ans et s’appelle George (Elliott Heffernan). Il vit dans une petite maison de ville de Stepney, un quartier de Londres, avec son grand-père et sa mère, Rita (Saoirse Ronan), ouvrière dans une usine d’armement et chanteuse à ses heures. Lorsque la pluie des bombes s’intensifie à partir de septembre1940, une évacuation des enfants est organisée loin de la ville, vers la campagne. Rita, incapable de se séparer de son fils, se résigne tardivement à le laisser partir dans un train avec d’autres enfants. Mais George, lui aussi récalcitrant, saute un peu plus tard du convoi… Dès lors, le film prend le tour inattendu d’une aventure initiatique à la Oliver Twist, où le gamin aux cheveux crépus livre sa mini-bataille dans la grande, faisant toutes sortes de rencontres avec des personnes, vilaines ou bienveillantes. La mort n’est jamais évacuée. Mais elle passe furtivement, au sein de cette fable volontiers destinée à toute la famille, dans un esprit proche de celui de Steven Spielberg dans Cheval de guerre.

Sans être réaliste, Blitz n’en décrit pas moins de manière concrète les alertes aériennes, la destruction des maisons, la panique de la population, les civils réfugiés dans le métro. En parallèle des tribulations de George, le réalisateur fait aussi le portrait de sa mère et de ses amies. Qui triment, se serrent les coudes et vont danser le soir – la joie est décuplée en temps de guerre. Le film est à la fois insolite et classique, frise parfois l’académisme dans ses notes mélodramatiques. Mais il est libre, dégagé des ficelles habituelles. Il tient du collage, avec des moments suspendus de rêverie, des jeux poétiques d’association ou d’opposition (entre ciel et terre, tapis de bombes et tapis de fleurs).

Steve McQueen glisse des notes personnelles et revisite mine de rien pas mal d’images emblématiques de l’Angleterre, réécrivant sur un palimpseste une sorte de contre-histoire, à la fois violente et douce. Où la musique soul, noire comme blanche, tient une place de choix. À l’image de celui qui interprète le grand-père, discret et digne à la fois, au visage émacié: Paul Weller himself, ex-leader de The Jam. Il y joue quelques vieux airs jazzy au piano, parle peu mais bien – il apprend au gamin à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Belle manière pour Steve McQueen de rendre hommage à l’énergie pugnace transmise par le vétéran des mods.